Par Donella
Meadows
Donella Meadows
fondatrice du "Sustainability Institute" et professeur au
Dartmouth College.
Comment pouvons-nous changer la structure des systèmes pour produire plus de ce que nous voulons et moins de ce qui est indésirable ? Après des années de travail avec des entreprises sur leurs problèmes de systèmes, Jay Forrester du MIT aime à dire qu'un gestionnaire moyen peut définir le problème courant de manière très convaincante, il peut identifier la structure du système qui mène au problème, et deviner avec une grande précision, où chercher pour tirer parti des effets de levier, où un petit changement pourrait conduire à un important changement de comportement du système.
Cette idée d’effet de levier n'est pas unique à l'analyse des systèmes, ça fait partie de la légende : la solution miracle, le remède, le raccourci, le mot magique, le chemin sans effort pour couper à travers ou sauter par-dessus des obstacles énormes. Nous voulons non-seulement croire qu'il existe des points de levier, mais nous voulons savoir où ils sont et comment mettre la main dessus. La connaissance des effets de levier est source de pouvoir.
Mais Forrester poursuit en soulignant que bien que les gens qui sont profondément impliqués dans un système savent souvent intuitivement en repérer les points de levier, le plus souvent, ils poussent le changement dans la mauvaise direction.
L'exemple classique de cette intuition inversée a été ma propre introduction à l'analyse des systèmes, le "modèle-monde" du rapport Meadows. Interrogé par le Club de Rome (un groupe international d'hommes d'affaires, d'hommes d'état, et de scientifiques) pour montrer comment les grands problèmes mondiaux de la pauvreté et de la faim, de la destruction de l'environnement, de l'épuisement des ressources, de la dégradation urbaine, et du chômage sont liés et comment ils pourraient être résolus, Forrester a construit un modèle informatique d'où est ressorti un point de levier clair : la croissance [1] (pas seulement la croissance de la population mais aussi la croissance économique). La croissance a des coûts ainsi que des avantages, et nous ne comptons généralement pas les coûts (parmi lesquels la pauvreté et la faim, la destruction de l'environnement et ainsi de suite, toute la liste des problèmes que nous essayons de résoudre avec la croissance !). Ce qui s'avère nécessaire est une croissance beaucoup plus lente, différents types de croissance, et dans certains cas, aucune croissance ou une croissance négative.
Les dirigeants du monde sont correctement focalisés sur la croissance économique comme la réponse à pratiquement tous les problèmes, mais ils poussent de toutes leurs forces dans la mauvaise direction.
Un autre des grands classiques de Forrester était son étude de la dynamique urbaine, publié en 1969, qui a démontré que le logement subventionnés pour les faibles revenu est un point de levier [2]. Pourtant, il a montré que le moins il y en a, le mieux la ville s’en porte et même le mieux les gens à faible revenu s’en portent. Ce modèle est sorti à un moment où la politique nationale était dictée par des projets massifs de logement pour faible revenu, et Forrester a été tournée en dérision. Depuis lors, beaucoup de ces projets ont été démolis ville après ville.
Contre-intuitif, c’est le mot de Forrester pour décrire les systèmes complexes. Les points de levier sont souvent peu intuitifs. Et s'ils sont identifiés, nous avons trop souvent tendance à les utiliser à l’envers, aggravant systématiquement les problèmes que nous essayons de résoudre, quels qu’ils soient.
Je ne peux pas arriver avec des formules rapides ou faciles pour trouver des points de levier dans les systèmes complexes et dynamiques. Donnez-moi quelques mois ou quelques années, et je vais les trouver. Et je sais par expérience que, parce qu'ils sont tellement contraires à l'intuition, quand je découvre des points de levier pour un système, presque personne ne va me croire. C’est très frustrant, surtout pour ceux d'entre nous qui aspirent non-seulement à comprendre les systèmes complexes, mais qui aspirent aussi à mieux faire fonctionner le monde.
C’était dans un tel moment de frustration que j'ai proposé une liste des endroits où intervenir dans un système lors d'une réunion sur les conséquences de la mondialisation du commerce. Je vous offre cette liste avec beaucoup d'humilité et, en voulant laisser la place à son évolution. Ce qui bouillonnait en moi ce jour-là a été distillé par des décennies d'analyse rigoureuse des différentes sortes de systèmes, faite par de nombreuses personnes intelligentes. Mais les systèmes complexes sont ainsi, complexes. Il est dangereux de généraliser à leur sujet. Ce que vous lisez ici est toujours un travail en cours, ce n'est pas une recette pour trouver des points de levier. Plutôt, c'est une invitation à réfléchir plus largement sur le changement dans un système.
"L'état du système" est le stock permanent qui est considéré comme important : la quantité d'eau derrière le barrage, la quantité de bois récoltable dans la forêt, le nombre de personnes dans la population, peu importe. Les états du système sont généralement des stocks physiques, mais ils pourraient être aussi immatériels : la confiance en soi, le degré de confiance dans les fonctionnaires, la sécurité perçue d'un quartier.
Il y a habituellement des entrées qui augmentent le stock et les sorties qui le diminue. L’apport du fleuve et de la pluie élève l'eau derrière un barrage; l'évaporation et la décharge par le déversoir l'abaisse. La corruption politique diminue la confiance dans les fonctionnaires publics, l'expérience d'un gouvernement qui fonctionne bien l’augmente.
Dans la mesure où cette partie du système se compose de stocks physiques et de flux, et qu’ils sont le fondement de tout système, elle obéit aux lois de la conservation et de l'accumulation. Vous pouvez facilement comprendre sa dynamique si vous pouvez comprendre le principe d'une baignoire avec de l'eau dedans (le stock, l'état du système), une vidange vers où l’eau s'écoule et un robinet d'où elle coule. Si le taux d'entrée est plus élevé que le taux d'écoulement, l'eau monte progressivement. Si le taux de sortie est plus élevée que le flux entrant, le niveau d'eau diminue progressivement. Typiquement, la réponse du niveau d'eau aux variations soudaines dans l'entrée ou la sortie des vannes est lente, il faut du temps pour que les flux s'accumulent en stocks, tout comme il faut du temps pour l'eau pour remplir la baignoire ou pour s'en écouler. Les changements de politique mettront du temps pour que leurs effets s'accumulent.
Quand les systèmes deviennent complexes, leur comportement peut devenir surprenant. Pensez à votre compte-chèques. Vous faite des virement et des dépôts. Un petit peu d'intérêt s’accumule petit-à-petit (si vous avez un solde assez grand) et des frais bancaires s'écoulent, même si vous n'avez pas d'argent dans le compte, créant ainsi une accumulation de dette. Maintenant attachez votre compte à un millier d'autres et laissez la banque créer des prêts en fonction de vos dépôts combinés et fluctuants, liez un millier de ces banques dans un système de réserve fédérale et vous commencez à voir comment des stocks et des flux simples, soudés ensembles, créent des systèmes trop compliqués et dynamiquement trop complexes pour pouvoir être compris facilement.
C'est pourquoi les points de leviers ne sont souvent pas intuitifs du tout. Tout ceci constitue assez de théorie des systèmes pour pouvoir commencer à énumérer la liste des lieux où intervenir dans un système .