jeudi 8 décembre 2011

Effet de levier : où intervenir dans un système ?


Par Donella Meadows

Donella Meadows fondatrice du "Sustainability Institute" et professeur au Dartmouth College.
Article original en anglais ici :Leverage Points: Places to Intervene in a System 



Comment pouvons-nous changer la structure des systèmes pour produire plus de ce que nous voulons et moins de ce qui est indésirable ? Après des années de travail avec des entreprises sur leurs problèmes de systèmes, Jay Forrester du MIT aime à dire qu'un gestionnaire moyen peut définir le problème courant de manière très convaincante, il peut identifier la structure du système qui mène au problème, et deviner avec une grande précision, où chercher pour tirer parti des effets de levier, où un petit changement pourrait conduire à un important changement de comportement du système.

Cette idée d’effet de levier n'est pas unique à l'analyse des systèmes, ça fait partie de la légende : la solution miracle, le remède, le raccourci, le mot magique, le chemin sans effort pour couper à travers ou sauter par-dessus des obstacles énormes. Nous voulons non-seulement croire qu'il existe des points de levier, mais nous voulons savoir où ils sont et comment mettre la main dessus. La connaissance des effets de levier est source de pouvoir.

Mais Forrester poursuit en soulignant que bien que les gens qui sont profondément impliqués dans un système savent souvent intuitivement en repérer les points de levier, le plus souvent, ils poussent le changement dans la mauvaise direction.

L'exemple classique de cette intuition inversée a été ma propre introduction à l'analyse des systèmes, le "modèle-monde" du rapport Meadows. Interrogé par le Club de Rome (un groupe international d'hommes d'affaires, d'hommes d'état, et de scientifiques) pour montrer comment les grands problèmes mondiaux de la pauvreté et de la faim, de la destruction de l'environnement, de l'épuisement des ressources, de la dégradation urbaine, et du chômage sont liés et comment ils pourraient être résolus, Forrester a construit un modèle informatique d'où est ressorti un point de levier clair : la croissance [1] (pas seulement la croissance de la population mais aussi la croissance économique). La croissance a des coûts ainsi que des avantages, et nous ne comptons généralement pas les coûts (parmi lesquels la pauvreté et la faim, la destruction de l'environnement et ainsi de suite, toute la liste des problèmes que nous essayons de résoudre avec la croissance !). Ce qui s'avère nécessaire est une croissance beaucoup plus lente, différents types de croissance, et dans certains cas, aucune croissance ou une croissance négative. 

Les dirigeants du monde sont correctement focalisés sur la croissance économique comme la réponse à pratiquement tous les problèmes, mais ils poussent de toutes leurs forces dans la mauvaise direction. 

Un autre des grands classiques de Forrester était son étude de la dynamique urbaine, publié en 1969, qui a démontré que le logement subventionnés pour les faibles revenu est un point de levier [2]. Pourtant, il a montré que le moins il y en a, le mieux la ville s’en porte et même le mieux les gens à faible revenu s’en portent. Ce modèle est sorti à un moment où la politique nationale était dictée par des projets massifs de logement pour faible revenu, et Forrester a été tournée en dérision. Depuis lors, beaucoup de ces projets ont été démolis ville après ville. 

Contre-intuitif, c’est le mot de Forrester pour décrire les systèmes complexes. Les points de levier sont souvent peu intuitifs. Et s'ils sont identifiés, nous avons trop souvent tendance à les utiliser à l’envers, aggravant systématiquement les problèmes que nous essayons de résoudre, quels qu’ils soient. 

Je ne peux pas arriver avec des formules rapides ou faciles pour trouver des points de levier dans les systèmes complexes et dynamiques. Donnez-moi quelques mois ou quelques années, et je vais les trouver. Et je sais par expérience que, parce qu'ils sont tellement contraires à l'intuition, quand je découvre des points de levier pour un système, presque personne ne va me croire. C’est très frustrant, surtout pour ceux d'entre nous qui aspirent non-seulement à comprendre les systèmes complexes, mais qui aspirent aussi à mieux faire fonctionner le monde. 

C’était dans un tel moment de frustration que j'ai proposé une liste des endroits où intervenir dans un système lors d'une réunion sur les conséquences de la mondialisation du commerce. Je vous offre cette liste avec beaucoup d'humilité et, en voulant laisser la place à son évolution. Ce qui bouillonnait en moi ce jour-là a été distillé par des décennies d'analyse rigoureuse des différentes sortes de systèmes, faite par de nombreuses personnes intelligentes. Mais les systèmes complexes sont ainsi, complexes. Il est dangereux de généraliser à leur sujet. Ce que vous lisez ici est toujours un travail en cours, ce n'est pas une recette pour trouver des points de levier. Plutôt, c'est une invitation à réfléchir plus largement sur le changement dans un système. 

"L'état du système" est le stock permanent qui est considéré comme important : la quantité d'eau derrière le barrage, la quantité de bois récoltable dans la forêt, le nombre de personnes dans la population, peu importe. Les états du système sont généralement des stocks physiques, mais ils pourraient être aussi immatériels : la confiance en soi, le degré de confiance dans les fonctionnaires, la sécurité perçue d'un quartier. 

Il y a habituellement des entrées qui augmentent le stock et les sorties qui le diminue. L’apport du fleuve et de la pluie élève l'eau derrière un barrage; l'évaporation et la décharge par le déversoir l'abaisse. La corruption politique diminue la confiance dans les fonctionnaires publics, l'expérience d'un gouvernement qui fonctionne bien l’augmente. 

Dans la mesure où cette partie du système se compose de stocks physiques et de flux, et qu’ils sont le fondement de tout système, elle obéit aux lois de la conservation et de l'accumulation. Vous pouvez facilement comprendre sa dynamique si vous pouvez comprendre le principe d'une baignoire avec de l'eau dedans (le stock, l'état du système), une vidange vers où l’eau s'écoule et un robinet d'où elle coule. Si le taux d'entrée est plus élevé que le taux d'écoulement, l'eau monte progressivement. Si le taux de sortie est plus élevée que le flux entrant, le niveau d'eau diminue progressivement. Typiquement, la réponse du niveau d'eau aux variations soudaines dans l'entrée ou la sortie des vannes est lente, il faut du temps pour que les flux s'accumulent en stocks, tout comme il faut du temps pour l'eau pour remplir la baignoire ou pour s'en écouler. Les changements de politique mettront du temps pour que leurs effets s'accumulent. 

Quand les systèmes deviennent complexes, leur comportement peut devenir surprenant. Pensez à votre compte-chèques. Vous faite des virement et des dépôts. Un petit peu d'intérêt s’accumule petit-à-petit (si vous avez un solde assez grand) et des frais bancaires s'écoulent, même si vous n'avez pas d'argent dans le compte, créant ainsi une accumulation de dette. Maintenant attachez votre compte à un millier d'autres et laissez la banque créer des prêts en fonction de vos dépôts combinés et fluctuants, liez un millier de ces banques dans un système de réserve fédérale et vous commencez à voir comment des stocks et des flux simples, soudés ensembles, créent des systèmes trop compliqués et dynamiquement trop complexes pour pouvoir être compris facilement. 

C'est pourquoi les points de leviers ne sont souvent pas intuitifs du tout. Tout ceci constitue assez de théorie des systèmes pour pouvoir commencer à énumérer la liste des lieux où intervenir dans un système .



Lieux où intervenir dans un système 
(Dans l'ordre d'efficacité croissante ) 


12. Les chiffres : constantes et paramètres tels que les subventions, taxes et normes

Pensez à l’exemple basique du stock et du flux qu’est une baignoire. La taille des flux est une question de chiffres et de rapidité avec laquelle ces chiffres peuvent être modifiés. Peut-être que le robinet devient dur à tourner, donc il faut un certain temps pour obtenir de l'eau qui coule ou pour l’arrêter. Peut-être que le drain est bloqué et ne permet qu’un faible débit. Peut-être que le robinet peut offrir le débit et la force d'un tuyau d'incendie. Certains de ces types de paramètres sont fixés physiquement et sont donc immuables, mais beaucoup peuvent être variés, rendant ces modes d'intervention populaires.
Prenons la dette nationale. Cela peut sembler étrange, comme stock, c'est un trou d'argent. La vitesse à laquelle on l'approfondit est appelé le déficit annuel. Les revenus provenant des impôts réduisent le trou, les dépenses du gouvernement l'agrandissent. Le Congrès et le président passent le plus clair de leur temps à discuter sur les nombreux paramètres qui augmentent (dépenses) ou diminuent (taxes) la taille ou la profondeur du trou. Puisque ces flux sont reliés à nous, les électeurs, ces paramètres sont politiquement chargés. Malgré tous les artifices, et peu importe le parti qui est en charge, le trou de l'argent s'est approfondit depuis des années maintenant, juste à des rythmes différents.

La quantité de terres que nous mettons de côté chaque année pour leur préservation. Le salaire minimum. Combien nous consacrons à la recherche sur le sida ou sur les bombardiers furtifs. Les frais de service que la banque extrait de votre compte. Tous ces paramètres sont, des ajustements de taille de robinets. Ainsi que par ailleurs, le licenciement ou l’embauche des gens, y compris des politiciens. Mettre des mains différentes au contrôle des robinets peut changer la vitesse à laquelle ils s’ouvrent, mais si ce sont les mêmes vieux robinets, branchés dans le même système ancien, réglés selon les mêmes anciennes informations, les mêmes objectifs et règles, le comportement du système ne va pas changer beaucoup.

Les nombres, les tailles de flux, sont bon derniers sur ma liste dans l'efficacité dans les interventions. Ce ne sont pas que ces paramètres ne sont pas importants, ils peuvent l’être, en particulier dans le court terme et pour l'individu qui est debout directement dans le flux. Les gens se soucient profondément des variables telles que les impôts et le salaire minimum, et sont prêt à mener des batailles féroces sur ces questions. Mais changer ces variables modifie rarement le comportement du système économique national. Quelle que soit la limite que nous mettons sur les contributions aux campagnes politiques, cela ne nettoie pas la politique. Quelle que soit la manière dont la Fed tripote les taux d'intérêt, cela ne fait pas disparaître les cycles économiques. Après des décennies de normes plus strictes de pollution de l'air dans le monde, l'air de Los Angeles est moins sale, mais il n'est pas propre. Dépenser plus pour la police ne fait pas disparaître le crime.

Puisque que je suis sur le point de citer quelques exemples où les paramètres sont des points de levier, laissez-moi agiter un chiffon rouge ici pour une mise en garde : les paramètres deviennent des points de levier quand ils sont dans un ordre de grandeur qui bousculera l'un des éléments plus haut sur cette liste. Les taux d'intérêt, par exemple, ou les taux de natalité, entraînent des gains autour de boucles de rétroaction de renforcement. Les objectifs du système sont des paramètres qui peuvent faire de grandes différences.

Ces types de chiffres critiques ne sont pas aussi communs que les gens semblent penser qu'ils sont. La plupart des systèmes ont évolués ou sont conçus pour rester largement hors de portée de ces chiffres critiques. La plupart du temps, les chiffres ne valent pas l’effort qu’on porte sur eux.

11. Les tampons : les grandeurs de stabilisation des stocks par rapport à leurs flux

Considérons une immense baignoire avec de lents flux d'entrées et de sorties. Maintenant, pensez à une petite avec des flux très rapides. C'est la même différence qu'entre un lac et une rivière. Vous entendez parler de crues catastrophiques beaucoup plus souvent que de débordement catastrophiques de lacs, parce que des stocks qui sont grands par rapport à leurs flux, sont plus stables que les petits. En chimie et dans d'autres domaines, un gros stock de stabilisation est appelé un tampon.

Le pouvoir stabilisant des tampons explique pourquoi vous gardez l'argent en banque plutôt que de vivre directement à partir du flux d’argent qui entre dans votre poche. C'est pourquoi les magasins détiennent des stocks au lieu de commander le nouveau produit juste quand le clients prend la porte avec l’ancien. C'est pourquoi nous avons besoin de maintenir plus que la population reproductive minimum pour la préservation d'une espèce animale menacée.

Vous pouvez souvent stabiliser un système en augmentant la capacité d'un tampon [3]. Mais si un tampon est trop gros, le système est inflexible. Il réagit trop lentement. Et les gros tampons de quelques sortes, comme les réservoirs d'eau ou les inventaires, coûtent beaucoup à construire ou à entretenir. Les entreprises ont inventé le flux-tendu pour les inventaires parce la vulnérabilité aux fluctuations occasionnelles ou aux erreurs est moins chère que certains coûts d'inventaire constant (et parce que les stocks petits ou inexistants permettent une réponse plus souple vis a vis des fluctuations de la demande).

Il y a effet de levier, parfois magique, qui consiste à changer la taille des tampons. Les tampons sont généralement des entités physiques, difficiles à changer. La capacité de stockage d'un barrage est littéralement coulée dans le béton. Donc je n'ai pas mis les tampons très haut sur la liste des points de levier.

10. La structure des stocks et des flux : les systèmes physiques et leurs nœuds d'intersection

La structure de la plomberie, des stocks et des flux, et leur agencement physique peuvent tous avoir un effet énorme sur la façon dont le système fonctionne. Lorsque le système routier hongrois a été aménagé de telle sorte que tout le trafic d'un côté de la nation vers l'autre devait passer par le centre de Budapest, cela a déterminé beaucoup de choses sur la pollution atmosphérique et les délais de déplacement ce qui n'est pas facilement corrigé par des dispositifs de contrôle de la pollution, des feux de circulation, ou des limites de vitesse.

La seule façon de réparer un système qui est mal aménagé, c'est de le reconstruire, si vous le pouvez. Amory Lovins et son équipe Rocky Mountain Institute ont fait des merveilles sur les économies d’énergie simplement en redressant les tuyaux pliés et en élargissant ceux qui sont trop petits. Si nous faisions les mêmes améliorations de rendement énergétique sur tous les bâtiments aux États-Unis, nous pourrions fermer la plupart de nos centrales électriques.

Mais souvent, la reconstruction physique est le mode de changement d’un système le plus lent et le plus cher. Certaines structures de stock et de flux sont tout simplement immuables. La vague du baby-boom dans la population américaine a d'abord provoqué des pressions sur le système scolaire élémentaire, puis les lycées, puis les collèges, puis les emplois et les logements, et maintenant nous devons supporter les retraites. Il n'y a pas beaucoup que nous pouvons faire à ce sujet parce que les 5 ans deviennent des 6 ans, et les 64 ans deviennent des 65 ans, pré-visiblement et inexorablement.

La structure physique est cruciale dans un système, mais c’est rarement un point de levier, car la changer est rarement simple ou rapide. Le point de levier est dans une bonne conception en premier lieu. Après que l'ouvrage ait été construit, le levier est dans la compréhension de ses limites et de ses goulets d'étranglement, dans son utilisation avec un maximum d'efficacité, et en s'abstenant de provoquer des fluctuations ou expansions qui dépassent ses possibilités.

9. Délais : les longueurs de temps par rapport aux rythmes de changement du système

Les délais dans les boucles de rétroaction sont des facteurs déterminants du comportement des systèmes. Ils sont des causes fréquentes d'oscillations. Si vous essayez de régler un stock, mais que vous recevez des informations sur l'état du stock avec retard, vous allez être au dessus ou en dessous de votre objectif. La même chose est vrai si votre information est dans les temps mais que votre réponse ne l’est pas. Il faut plusieurs années pour construire une centrale électrique qui va probablement durer trente ans. Ces délais font qu'il est impossible de construire exactement le bon nombre de centrales électriques pour s’adapter à l’évolution de la demande d'électricité. Même avec un immense effort de prévision, presque tous les secteurs de l'électricité dans le monde font l’expérience de longues oscillations entre surcapacité et sous-capacité. Un système ne peut pas répondre à des changements de court terme quand il a des délais de long terme.

Parce que nous savons qu'ils sont importants, nous voyons des délais partout où nous regardons. Par exemple, le délai entre le moment où un polluant est déversé sur la terre et le moment où il ruisselle jusque dans les eaux souterraines, ou encore le délai entre la naissance d'un enfant et le moment où cet enfant est prêt à avoir un enfant lui-même, ou le délais nécessaire pour qu'un prix s'adapte à un déséquilibre offre-demande.

Un délais dans un processus de rétroaction est critique pour les taux de changement dans les stocks que la boucle de rétroaction essaye de contrôler. Les délais qui sont trop court provoquent des sur-réactions, des oscillations amplifiées par la nervosité de la réponse. Les délais qui sont trop longs entraînent des oscillations étouffées, trop freinées ou trop soutenues, ou des oscillations qui explosent. Des délais trop longs dans un système avec un seuil, un niveau qui peut produire des dommages irréversibles, peut causer le dépassement de ce seuil et donc l’effondrement.

Je voudrais mettre les délais dans la liste des points de levier élevés, sauf pour le fait que les délais ne sont pas souvent faciles à changer. On ne peut pas aller plus vite que la musique. Vous ne pouvez pas faire grand choses sur le temps de construction d'un quartier d’une capitale, ou sur temps de maturation d'un enfant, ou sur le taux de croissance d'une forêt. Il est généralement plus facile de ralentir la vitesse des changements, de sorte que les délais inévitables de la réaction ne causent pas tant de peine. C'est pourquoi les taux de croissance sont plus élevés sur la liste des points de levier que des temps de retard.

Et c'est pourquoi le ralentissement de la croissance économique est un point de plus grande influence dans le modèle mondial de Forrester que la rapidité du développement technologique ou que des prix de marché plus libres. Ce sont des tentatives pour accélérer le rythme de l'ajustement. Mais le stock de capital physique mondial, ses usines et ses chaudières, change selon son propre rythme limité, même face à de nouveaux prix ou de nouvelles idées (et les prix et les idées ne changent pas instantanément non plus à l’échelle mondiale). Il y a plus d’effet de levier dans le fait de ralentir le système afin que les technologies et les prix puissent s’ajuster que dans le fait de souhaiter que les délais disparaissent.

Mais s'il y a un délais dans votre système qui peut être changé, le changer peut avoir de grands effets.
Attention ! Soyez sûr que vous le changer dans le bon sens!

8. Les boucles de rétroaction d'équilibrage : la force des rétroactions par rapport à l'impact qu'elles essaient de corriger.

Maintenant nous commençons à passer de la partie physique du système à la partie information et contrôle, où plus d’effets de levier peuvent être trouvés.

Les boucles de rétroaction d’équilibrage sont omniprésentes. La nature les fait évoluer naturellement et les humains les inventent comme des moyens de contrôles pour conserver les stocks importants dans des limites sures. Une boucle de thermostat en est l'exemple classique. Son but est de garder le stock du système (la température) assez constant près d’un niveau souhaité. Toute boucle de rétroaction d’équilibre a besoins d'un objectif (le réglage du thermostat), d’un dispositif de surveillance et de signalisation pour détecter tout écart par rapport à l'objectif (le thermostat), et d'un mécanisme de réponse (le conditionneur d'air de chauffage ou le ventilateurs, les pompes, tuyaux, et carburant).

Un système complexe a habituellement de nombreuses boucles de rétroaction d’équilibre, de sorte qu'il peut s'auto-corriger dans des conditions et des impacts différents. Certaines de ces boucles peuvent être inactives la plupart du temps (comme le système de refroidissement d'urgence dans une centrale nucléaire, ou votre capacité à transpirer ou frissonner pour maintenir la température de votre corps), mais leur présence est essentielle pour le bien-être à long terme du système.

Une des grandes erreurs que nous faisons est de dépouiller ces mécanismes de réponse «d'urgence» , parce qu'ils ne sont pas souvent utilisés, et qu'ils semblent être coûteux. À court terme, nous ne voyons pas l'effet de faire cela. À long terme, nous réduisons drastiquement l'éventail des conditions dans lesquelles le système peut survivre. Un des exemple les plus malheureux où nous faisons cela est en empiétant sur les habitats d'espèces menacées. Un autre est en empiétant sur notre propre temps pour le repos, les loisirs, la socialisation et la méditation.

La force d'une boucle d’équilibre (sa capacité à maintenir ses stocks pré-établis juste à ou près de son but) dépend de la combinaison de tous ses paramètres et liens (la précision et la rapidité de la surveillance, la rapidité et la puissance de la réponse, la droiture et la taille des flux correctifs). Parfois il y a ici des points de levier.

Prenez les marchés, par exemple, ce sont des systèmes de rétroaction d'équilibrage qui sont tous vénérés par de nombreux économistes. Ils peuvent en effet être des merveilles d'auto-correction, car les prix varient pour modérer l’offre et la demande et les maintenir en équilibre. Le prix est la pièce centrale d'informations et de signalisation à la fois pour les producteurs et les consommateurs. Plus le prix est maintenu clair, sans ambiguïté, en temps opportun, et véridique, et plus les marchés vont fonctionner en douceur. Les prix qui reflètent les vrais coûts diront au consommateurs ce qu’ils peuvent réellement se permettre et récompenseront les producteurs efficaces. Les entreprises et les gouvernements sont fatalement attirés vers le point de levier des prix, mais trop souvent ils le poussent résolument dans la mauvaise direction avec des subventions, des taxes, et d'autres formes de confusion.

Ces modifications affaiblissent le pouvoir de rétroaction des signaux du marché par la distorsion de l'information en leur faveur. L'effet de levier réel ici est de les empêcher de le faire. C’est par conséquent, la nécessité des lois antitrust, des lois contre les publicités mensongères, des tentatives pour internaliser les coûts (comme le principe pollueur-payeur), la suppression des subventions perverses, et d'autres façons de niveler le terrain pour les marchés.

La force d'une boucle de rétroaction d’équilibre est relatif à l’importance de l'impact qu’elle est conçue pour corriger. Si l'impact augmente sa force, les rétroactions doivent être renforcées aussi. Un système de thermostat peut fonctionner correctement pendant un hiver froid, mais un jour où vous ouvrez toutes les fenêtres, sa puissance corrective ne sera pas suffisante pour le changement de température imposée au système. La démocratie fonctionne mieux sans la puissance de lavage de cerveau de la communication centralisée de masse. Les contrôles traditionnels sur la pêche étaient suffisants jusqu'au repérage des bans de poissons par sonars, les filets dérivants et autres technologies qui ont permis à quelques acteurs de rattraper les derniers poissons.

Des exemples de renforcement de boucles de rétroaction d'équilibrage pour améliorer les capacités d'auto-correction d'un système incluent : la médecine préventive, l'exercice et une bonne nutrition pour renforcer la capacité du corps à combattre les maladies, la gestion intégrée des ravageurs des cultures pour encourager les prédateurs naturels de ceux-ci, le “Freedom of Information Act” pour réduire le secret gouvernemental, la protection des sources, et les frais d'impact, les taxes de pollution, et garanties de bonne exécution pour récupérer les coûts publiques externalisés au profit du privé.

7. Les boucles de rétroaction de renforcement : la force du renforcement que les boucles entraînent d'elle-même.

Une boucle de rétroaction d’équilibrage est auto-correctrice; une boucle de rétroaction de renforcement est auto-entretenue. Plus elle travaille, plus elle gagne en puissance, conduisant le comportement du système dans une direction. Plus les gens attrapent la grippe, plus ils infectent d'autres personnes. Le plus de bébés naissent, le plus de gens grandissent jusqu’à avoir des bébés. Le plus d'argent vous avez à la banque, le plus d'intérêt vous gagnez, et le plus vous avez d'argent à la banque. Plus le sol s'érode, moins il peut supporter de végétation, moins de racines et de feuilles amortissent l’eau de ruissellement, et plus l'érosion du sol s’intensifie.

Les boucles de rétroaction de renforcement sont des sources de croissance, d'explosion, d'érosion et d'effondrement des systèmes. Un système avec une boucle de renforcement incontrôlée va finir par se détruire. C'est pourquoi il y a si peu d'entre elles. Habituellement une boucle d'équilibrage interviendra tôt ou tard. L'épidémie sera à court de gens à infecter ou les gens vont prendre des mesures plus fortes pour éviter d'être infecté. Le taux de mortalité va augmenter pour égaler le taux de natalité ou les gens vont voir les conséquences de la croissance démographique incontrôlée et auront moins de bébés. Le sol va s’éroder jusqu’à la roche-mère, et après un million d'années la roche va se désagréger en un nouveau sol ou alors, des personnes mettront en place des barrages, planteront des arbres, et arrêteront le surpâturage pour arrêter l'érosion.

Dans tous ces exemples, le premier résultat est ce qui se passera si la boucle renforçante suit son cours, le second est ce qui se passera s'il y a une intervention visant à réduire son effet auto-multipliant sa puissance. Réduire le gain autour d'une boucle de renforcement (ralentir la croissance) est en général un point de levier plus puissant dans les systèmes que de renforcer les boucles de régulation, et de loin préférable à laisser la boucle de renforcement suivre son cours.

La population et le taux de croissance économique dans le modèle-monde sont des points de leviers, car les ralentir donne aux nombreuses boucles d’équilibre, à travers la technologie, les marchés et d'autres formes d'adaptation, le temps de fonctionner.

Il y a beaucoup de boucles de rétroaction de renforcement dans la société qui récompensent les gagnants d'une compétition avec des ressources pour gagner encore plus la fois d'après, c'est le piège du "success to the successful". Les gens riches perçoivent des intérêts, les gens pauvres les payent. Les gens riches paient des comptables et s'appuient sur des politiciens afin de réduire leurs impôts, les gens pauvres ne peuvent pas. Les gens riches donnent à leurs enfants leurs héritages et une bonne éducation. Les programmes anti-pauvreté sont de faibles boucles de régulation qui tentent de contrer ces fortes boucles de renforcement. Il serait beaucoup plus efficace d’affaiblir ces boucles de renforcement. C'est ce que l'impôt progressif sur le revenu, l’impôt sur les successions, et les programmes universel d'éducation publique de haute qualité sont destinés à faire. Si les riches peuvent influencer le gouvernement pour affaiblir, plutôt que de renforcer ces mesures, le gouvernement lui-même passe du statut de structure qui équilibre à celui de structure qui renforce les déséquilibres.

Cherchez des points de levier autour des taux de natalité, des taux d'érosion, du cercle vicieux du "success to the successful", tout lieu où le plus vous avez de quelque chose, le plus vous avez la possibilité d'en avoir encore plus.

6. Flux d'information : la structure de qui a et n'a pas accès à l'information

Dans certaines maisons d'un lotissement néerlandais, les compteurs électriques ont été installés dans le sous-sol, dans d'autres, ils ont été installés dans le hall d'entrée. Sans autres différences dans les maisons, la consommation d'électricité a été de 30 pour cent plus basse dans les maisons où le compteur était à l'emplacement très visible dans le hall d'entrée.

J'adore cette histoire parce que c'est l’exemple d'un point de levier dans la structure même de l'information dans le système. Il ne s'agit pas d'un ajustement des paramètres, pas non plus d’un renforcement ou d’un affaiblissement d'une boucle de rétroaction existante. Il s'agit d'une nouvelle boucle, créant une réaction à un endroit où il n’y en avait pas avant.

Les flux d'informations manquants sont parmi les causes les plus fréquentes de dysfonctionnement d’un système. Ajouter ou restaurer ces informations peut constituer une intervention puissante, généralement beaucoup plus facile et moins chère que la reconstruction des infrastructures physiques.

La tragédie des biens communs qui fait s’effondrer la pêche commerciale du monde se produit parce qu'il y a peu de rétroaction entre l'état de la population de poissons et la décision d'investir dans des navires de pêche. Contrairement à l'opinion économique, le prix du poisson ne constitue pas ce retour d'information. Comme les poissons se raréfient, ils deviennent plus chers, et il devient d'autant plus rentable de sortir et d'attraper les quelques derniers. C'est un retour pervers, une boucle de renforcement qui conduit à l'effondrement. Ce n’est pas l’information sur les prix, mais l'information sur la population qui est nécessaire.

Il est important que les retours d'information manquants soient restaurés à la bonne place et sous une forme convaincante. Pour prendre un autre exemple de tragédie des communs, il ne suffit pas d'informer tous les utilisateurs d'un aquifère que le niveau des eaux souterraines est en baisse. Cela pourrait entraîner une course vers le fond. Il serait plus efficace de régler le coût de l'eau de tel sorte qu’il augmente fortement si le taux de pompage commencent à excéder le taux de recharge.

D'autres exemples de rétroactions convaincantes ne sont pas difficiles à trouver. Supposons que les contribuables puissent indiquer sur leurs formulaires de déclaration d’impôts, sur quels services, leurs versements d'impôt doit être dépensé (La démocratie radicale!). Supposons une ville où toute entreprise qui met un tuyau de prise d'eau dans une rivière doive mettre un tuyau de sorties des eaux usées immédiatement en aval du premier. Supposons que tout acteur publique ou privé qui prenne la décision d'investir dans une centrale nucléaire obtienne les déchets de cette installation sur son propre gazon.

Il y a une tendance systématique de la part des êtres humains à éviter la responsabilité de leurs propres décisions. C'est pourquoi il y a tellement de retour d’information manquants et pourquoi ce genre de point de levier est si souvent populaires auprès des masses, impopulaire auprès des pouvoirs en place, et efficaces, si vous pouvez obtenir des pouvoirs en place de permettre que cela arrive (ou en les contournant et en s’arrangeant pour que ça arrive de toute façon).

5. Règles : incitations, punitions, contraintes

Les règles du système définissent sa portée, ses limites et ses degrés de liberté. Tu ne tueras point. Chacun a le droit à la libre expression. Les contrats doivent être honorés. Le président est élu pour quatre ans et ne peut pas servir plus de deux mandas. Neuf personnes dans une équipe, vous devez toucher à toutes les bases, trois fautes et vous êtes dehors. Si vous vous faites attraper en dévalisant une banque, vous allez en prison.

Les constitutions sont les meilleurs exemples de règles sociales. Les lois physiques, comme la seconde loi de la thermodynamique, sont des règles absolues, que nous les comprenions ou non, que nous les aimions ou pas. Les lois, les punitions, les incitations et les accords sociaux informels sont des règles progressivement plus faibles.

Pour démontrer la puissance des règles, j’aime demander à mes étudiants d'imaginer des règles différentes pour l’université. Supposons que les étudiants classent les enseignants, ou se classent les uns les autres. Supposons qu'il n'y ait pas de diplôme : vous venez à l'université quand vous voulez apprendre quelque chose, et vous partez quand vous avez appris. Supposons que les chaires soient attribués à des professeurs en fonction de leur capacité à résoudre les problèmes du monde réel, plutôt que de leur capacité à publier des articles académiques. Supposons qu’une classe soit classée en tant que groupe, plutôt que pour chaque individus.

Quand nous essayons d'imaginer comment ces règles restructurées changeraient les comportements, nous arrivons à comprendre leur pouvoir. Ce sont des effets de levier très fort. Le pouvoir sur les règles, c'est le pouvoir réel. C'est pourquoi les lobbyistes se rassemblent quand le Congrès écrit des lois et pourquoi la Cour suprême, qui interprète et délimite la Constitution (les règles d'écriture des règles) a encore plus de puissance que le Congrès. Si vous voulez comprendre le profond dysfonctionnement de certains systèmes, faites attention aux règles et à ceux qui ont un pouvoir sur elles.

4. Auto-organisation : le pouvoir d'ajouter, de modifier ou de faire évoluer la structure du système

La chose la plus spectaculaire que certains systèmes vivant ou sociaux peuvent faire est de se changer eux-mêmes complètement en créant un ensemble nouveau de structures et de comportements. Dans les systèmes biologiques, ce pouvoir est appelé évolution. Dans les économies humaines, cela s’appelle avancée technique ou révolution sociale. Dans le jargon on appelle ça auto-organisation.

L'auto-organisation, c'est changer tout aspect d'un système plus bas dans cette liste en ajoutant des structures physiques totalement nouvelles, des boucles de rétroaction nouvelles, ou de nouvelles règles. La capacité à s'auto-organiser est la forme la plus forte de la résilience du système. Un système qui peut évoluer peut survivre à presque tout changement en se changeant soit-même.

La puissance de l'auto-organisation semble si merveilleuse que nous avons tendance à la considérer comme mystérieuse, miraculeuse, envoyé du ciel. Les économistes se représentent souvent la technologie comme de la magie, venant de nulle part, ne coûtant rien, augmentant invariablement la productivité d'une économie par un pourcentage certain chaque année. Pendant des siècles les gens ont considéré la variété spectaculaire de la nature avec la même stupeur. Seul un créateur divin pouvait faire surgir une telle création.

Une enquête plus poussée des systèmes auto-organisés révèle que le créateur divin, s'il y en a un, n'a pas à produire les miracles de l'évolution. Il, ou elle, doit juste écrire de merveilleuses et intelligentes règles pour l'auto-organisation. Ces règles régissent essentiellement comment, où, et ce que le système peut ajouter ou soustraire de lui-même et sous quelles conditions. Comme des centaines de modèles informatiques d'auto-organisation l'ont montré, des motifs complexes et délicieux peuvent évoluer à partir d'ensembles de règles assez simples. Le code génétique, et les règles pour sa réplication et sa réorganisation, fut constant pour quelque chose comme trois milliards d'années, pendant lesquelles il a produit une variété inimaginable de créatures auto-évoluée, succès ou échec .

Quand vous comprenez la puissance des systèmes d'auto-organisation, vous commencez à comprendre pourquoi les biologistes ont le culte de la biodiversité, encore plus que le culte des économistes pour la technologie. Le stock extrêmement varié de l'ADN, qui a évolué et a été accumulé pendant des milliards d'années, est la source de potentiel évolutif, tout comme les bibliothèques scientifiques et les laboratoires et les universités ou la formation de scientifiques sont la source de potentiels technologiques. Permettre aux espèces de s'éteindre est un crime systémique, tout comme éliminer au hasard toutes les copies de certaines revues scientifique ou de certains type de science.

La même chose pourrait être dite des cultures humaines, bien sûr, qui sont un stock de gammes de comportements accumulés au fil de centaines de milliers d'années. Ils sont une réserve de laquelle des évolutions sociales peuvent survenir. Malheureusement, les gens apprécient le précieux potentiel évolutif des cultures, encore moins que ce qu'ils comprennent de la préciosité de chaque variation génétique de tous les écureuils du monde. L'insistance sur une seule culture arrête l’apprentissage et réduit la résilience. Tout système, biologique, économique ou social, qui devient si incrustée qu'il ne peut pas auto-évoluer, tout système qui méprise systématiquement l'expérimentation et efface la matière première de l'innovation, est voué à l’échec sur le long terme sur cette planète très variable.

3. Objectifs: le but ou la fonction du système

Les conséquences de la pression pour le contrôle qui détruisent la diversité démontre pourquoi l'objectif d'un système est un point de levier supérieur à la capacité d'auto-organisation d'un système. Si l'objectif est d'amener de plus en plus de monde sous le contrôle d'un système de planification centrale particulier (l'empire de Gengis Khan, l’Église, la République populaire de Chine, Wal-Mart, Disney), alors tout ce qui précède dans la liste, les stocks et les flux physiques, des boucles de rétroaction, les flux d'information, même le comportement d'auto-organisation, sera contraint pour se conformer à cet objectif.

C'est pourquoi je ne peux pas entrer dans les arguments quant à savoir si le génie génétique est une «bonne» ou une «mauvaise» chose. Comme toutes les technologies, cela dépend de qui brandit ce but. La seule chose que l'on puisse dire est que si les sociétés l’utilisent dans le but de générer des produits commercialisables, c’est un objectif très différent, un mécanisme de sélection très différents, une direction pour l'évolution très différente que tout ce que la planète a vu jusqu'ici.

Comme mon petit exemple de boucle de rétroaction unique l'a montré, la plupart des boucles de rétroaction d'équilibrage dans les systèmes ont leurs objectifs propres (maintenir l'eau du bain au bon niveau, garder la température ambiante confortable, maintenir les inventaires à des niveaux suffisants, garder assez d'eau derrière le barrage). Ces objectifs sont les points de levier importants pour les pièces des systèmes, et la plupart des gens s'en rendent compte. Si vous voulez chauffer la salle, vous savez que le réglage du thermostat est le lieu ou intervenir. Mais il y a des buts plus larges moins évidents, à effet de levier plus grands : ceux de l'ensemble du système.

Même les gens à l’intérieur même d’un systèmes ne reconnaissent souvent pas l’objectif que l'ensemble du système sert. «Pour faire des profits», diraient les gens du but de la plupart des sociétés , mais c'est juste une règle, une condition nécessaire pour rester dans le match. Quel est le but du jeu? Grandir, accroître la part de marché, pour amener le monde (clients, fournisseurs, régulateurs) de plus en plus sous le contrôle de la société, de sorte que ses opérations deviennent de plus en plus à l'abri de l'incertitude. John Kenneth Galbraith a discerné depuis longtemps cet objectif des entreprises (engloutir tout) [4]. C'est l'objectif d'un cancer aussi. En fait, c'est le but de chaque population vivante (et seulement un mauvais but quand il n'est pas équilibrée par une boucles de rétroaction d’équilibre de niveau supérieur, qui ne laisse jamais une entité dont le pouvoir s'auto-renforce dominer le monde. L'objectif de maintenir le marché concurrentiel doit éclipser l'objectif de chaque société individuelle d’éliminer ses concurrents, tout comme dans les écosystèmes, le but de maintenir les populations en équilibre et en évolution doit éclipser l'objectif de chaque population de se reproduire sans limite.

J'ai dit il y a un moment déjà que changer les acteurs dans un système est une intervention de bas niveau, aussi longtemps que ces acteurs s'inscrivent dans le même ancien système. L'exception à cette règle est au sommet, où un seul acteur peut avoir le pouvoir de changer l'objectif du système.

C'est ce que Ronald Reagan, a fait et nous avons regardé cela arriver. Peu de temps avant son arrivée à la maison blanche, un président pouvait dire: «Ne vous demandez pas ce que le gouvernement peut faire pour vous, demandez ce que vous pouvez faire pour le gouvernement", et personne ne riaient. Reagan a dit, à plusieurs reprises, l'objectif n'est pas d'amener les gens à aider le gouvernement et non pas à amener le gouvernement à aider les gens, mais d’obtenir que le gouvernement ne soit plus sur notre dos. On peut dire, et je vais le faire, que c’était des modification du système plus large et la montée du pouvoir des entreprises par rapport au gouvernement qui l’ont laisser s'en tirer avec ça. Mais la rigueur avec laquelle le discours public aux États-Unis et même dans le monde a changé depuis Reagan est un témoignage de l’énorme effet de levier qu’est le fait d'articuler, de signifier, de répéter, de se lever pour, et d’insister sur les objectifs du nouveau système.

2. Paradigmes : L'état d'esprit qui génère le système (ses objectifs, sa structure, ses règles, ses délais, ses paramètres)

Une autre des paroles célèbre de Jay Forrester sur les systèmes est que la manière dont de la législation fiscale d'un pays est écrite n'a pas d'importance. Il y a une idée commune dans l'esprit de la société sur ce qu'est une «juste» répartition de la charge fiscale. Quoi que les lois disent, par des moyens bons ou mauvais, par des complications, par la tricherie, des exemptions ou des déductions, les paiements réels d'impôt vont tendre vers l'idée reçue de «l'équité».

Les idées partagées dans l'esprit de la société, les grandes hypothèses implicites, constituent le paradigme de cette société, ou le plus profondément l’ensemble des croyances sur la façon dont le monde fonctionne. Ces croyances sont implicites, car il est inutile de les expliciter (tout le monde les connait déjà). "L'argent mesure quelque chose de réel et a un sens réel et, par conséquent, les gens qui sont moins bien payés littéralement valent moins". "La croissance est bonne". On peut "posséder" la terre. Ce ne sont que quelques-unes des hypothèses paradigmatiques de notre culture actuelle, qui ont complètement abasourdi d'autres cultures, qui ne les trouvait pas du tout aussi évidente.

Les paradigmes sont les sources des systèmes. D'eux, des accords sociaux partagés sur la nature de la réalité, viennent les objectifs du système et les flux d'information, les rétroactions, les stocks, et tout le reste à propos des systèmes. Les anciens Égyptiens construisaient des pyramides parce qu'ils croyaient en une vie après la mort. Nous construisons des gratte-ciel car nous pensons que l'espace dans les villes du centre-ville est extrêmement précieux. Que ce soit Copernic et Kepler montrant que la terre n'est pas le centre de l'univers, ou Adam Smith postulant que les actions égoïstes des acteurs individuels dans les marchés s'ajoutent miraculeusement pour le bien commun, les gens qui ont réussi à intervenir dans les systèmes au niveau du paradigme ont atteint un point de levier qui a totalement transformé le système.

On pourrait dire que les paradigmes sont plus difficiles à changer que toute autre chose au sujet d'un système, et donc ce point devrait être plus bas sur la liste, et non pas seconde. Mais il n'y a rien de physique ou de coûteux ou même de lent dans le processus de changement de paradigme. Chez un seul individu, cela peut arriver en une milliseconde. Il suffit d'un clic dans l'esprit, une nouvelle façon de voir. Pour des sociétés entières c’est une autre affaire, elles résistent plus fortement aux défis envers leurs paradigmes qu'elles ne résistent à autre chose.

Alors, comment changez vous de paradigme? Thomas Kuhn, qui a écrit le livre fondateur sur les grands changements de paradigme de la science, a beaucoup à dire sur ça [5]. Vous devez pointer systématiquement les anomalies et les échecs de l'ancien paradigme. Vous parlez et agissez systématiquement, bruyamment et avec assurance, de l'autre. Vous placez des gens avec le nouveau paradigme dans des endroits de visibilité publique et le pouvoir. Vous ne perdez pas de temps avec les réactionnaires, mais plutôt vous travaillez avec les agents de changement actifs et avec la majorité des gens qui sont ouverts d'esprit.

Les modélisateurs de systèmes disent que nous changeons les paradigmes en construisant un modèle du système, qui nous mène en dehors du système et nous oblige à le voir en entier. Je dis ça parce que mes propres paradigmes ont changés de cette façon.

1. Transcender les Paradigmes

Il y a encore un point de levier qui est encore plus élevé que de changer de paradigme. C'est de se maintenir sans attache dans l'arène des paradigmes, de rester souple, afin de réaliser qu'aucun paradigme n’est «vrai», que chacun, y compris celui qui façonne doucement votre propre vision du monde, est une compréhension énormément limitée d'un immense et étonnant univers qui est bien au-delà de la compréhension humaine. C’est comprendre dans ses tripes, le paradigme qu'il y a des paradigmes, et de voir que cela-même est un paradigme, et à considérer que cette réalisation comme extrêmement drôle. C’est de se laisser aller dans le non-savoir, dans ce que les bouddhistes appellent l'illumination.

Les gens qui s'accrochent à des paradigmes (ce qui signifie à peu près nous tous) jettent un oeil sur l’idée vaste que tout ce qu'ils pensent est sure d'être un contre sens et refond rapidement le chemin dans la direction opposée. Assurément il n'existe aucun pouvoir, aucun contrôle, aucune comprehension, même pas une raison d'être, et encore moins d'agir, incarnée dans la notion qu'il n'y a pas de certitude dans toute vision du monde. Mais, en fait, tous ceux qui ont réussis à entrevoir cette idée, pour un instant ou pour pour la durée d’une vie, ont trouvés que c'était le fondement d’une autonomisation radicale. Si aucun paradigme n’est juste, vous pouvez choisir n’importe lequel vous aidera à atteindre votre but. Si vous n'avez aucune idée où vous procurer un but, vous pouvez écouter de l'univers.

C'est dans cet espace de maîtrise sur les paradigmes que les gens rejettent leur dépendances, vivent dans une joie constante, font s’effondrer des empires, se font enfermer ou brûlés sur le bûcher, ou crucifiés, ou fusillés, et ont des impacts qui durent des millénaires.

Il y a tellement qui pourrait être dit sur cette liste des endroits ou intervenir dans un système. Il s'agit d'une liste indicative et son ordre n’est pas figé. Il y a des exceptions pour chaque élément qui peut le faire monter ou descendre dans l'ordre des effets de levier. Ayant cette liste qui percolait dans mon subconscient depuis des années ne m'a pas transformé en Superwoman. Plus le point de levier est fort, plus le système va résister à le changer (c'est la raison pour laquelle les sociétés maltraitent souvent les êtres vraiment éclairés).

Les points de levier magiques ne sont pas facilement accessibles, même si nous savons où ils sont et dans quelle direction les pousser. Il n'y pas de ticket bon marché pour la maîtrise. Vous devez travailler dur pour ça, que cela signifie analyser rigoureusement un système ou larguer les amarres avec rigueur de vos propres paradigmes et vous lancer dans l'humilité du non-savoir. En fin de compte, il semble que la maîtrise ait moins à voir avec la manipulation d’effets de levier qu’avec le fait de stratégiquement, profondément, follement, lâcher prise.

Références

  1. Forrester, JW. World Dynamics. (Wright-Allen Press, Cambridge, 1971).
  2. Forrester, JW. Urban Dynamics. (The MIT Press, Cambridge, 1969).
  3. Meadows, D. Dynamics of Commodity Production Cycles. (Wright-Allen Press, Cambridge, 1970).
  4. Galbraith, JK. The New Industrial State. (Houghton Mifflin, Boston, 1967).
  5. Kuhn, T. The Structure of Scientific Revolution. (University of Chicago Press, Chicago, 1962).

1 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cette traduction! On ne parle que rarement de la vision systémique en français, et encore plus rarement de Donella Meadows.

Bonne continuation

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